samedi, octobre 05, 2024

Freud, la psychanalyse, la kabbale, et le B'naï B'rith



Les doctrines psychologiques établies par Sigmund Freud ont été prêchées pour la première fois devant un auditoire du B'naï B'rith (franc-maçonnerie juive). 

On sait aujourd'hui que Freud a appartenu durant quatre décennies au B'naï B'rith et a participé durant de longues années de manière très active à la vie des loges. [...]

Pour le B'naï B'rith, "Freud a exaucé le message biblique du Faire ici et maintenant, en toute plénitude". Il ne faut pas oublier, même si le fait est toujours soigneusement passé sous silence par ses disciples, que Freud avait une attirance étonnante pour les pratiques magiques et occultes.

Nous ne nous livrerons ici ni à une défense apologétique ni à une attaque virulente de la psychanalyse comme science médicale ou fausse science, mais tenterons plutôt de montrer les rapports entre les aspects "mystiques", "magiques" et "religieux" de la psychanalyse avec la philosophie juive et les enseignements du B'naï B'rith. Il ne faut jamais oublier que, comme l'a révélé Emil Ludwig, Freud ira jusqu'à pratiquement créer son propre ordre secret, analogue à ceux des fraternités maçonniques, avec réunions et langage secret. Une photo de cette "loge" (ou, si l'on préfère, de "cénacle") fait partie des collections du palais de la Découverte. On y voit Otto Rank, Karl Abraham, Max Eitingon, Ernest Jones, Sandor Ferenczy, Hanns Sachs, curieusement tous des disciples tardifs, après la rupture de Carl Gustav Jung, Alfred Adler, Wilhel Stekel, etc. En 1920, six de ses disciples se virent même remettre par le maître un anneau rituélique, avec chaton d'agate à zones concentriques, de teinte trouble.

Divers apports inattendus ont nourri les recherches de Freud

Dans les années entourant 1880, Freud fut par exemple en rapport régulier avec Adolph Jellinek, "le plus grand des prêcheurs juifs modernes", qui prêcha à Vienne, jusqu'à sa mort, en 1883. Il avait publié bon nombre d'ouvrages sur la kabbale et la mystique kabbalistique. 

Second apport chez Freud, le Dr Wilhelm Fliesse, avec lequel Freud entretiendra une importante correspondance de 1887 à 1901. Fliesse était un fervent de numérologie. Pour lui, le cycle mâle était de 23 jours, le cycle femelle de 28. La mort de Goethe était survenue au 30 156ème jour de sa vie, soit 1 077 cycles de 28 jours ... féminin (type de bisexualité). « Goethe est mort quand la 1 077ème menstrue féminine eut épuisé la dernière parcelle de sa merveilleuse constitution. » Ce n'est que tardivement, au bout de plusieurs années, que Freud finit par " désespérer des extravagances scientifiques de Fliess " et abandonna ses relations avec ce dernier, dont on peut noter qu'il avait pourtant publié un ouvrage très "particulier " en 1887, étudiant la relation entre le nez et les organes sexuels de la femme.

Dans un passionnant essai, l'Américain David Bakan, après une étude méticuleuse et approfondie, conclut, de manière nullement hostile, que le "freudisme est un avatar de la mystique juive", un "travestissement laïcisé" de la mystique juive. Selon cet universitaire, qui évoque "l'hypothèse très convaincante" d'un "pacte avec le diable (...), Freud passa toute sa vie dans un ghetto virtuel, un monde composé presque exclusivement de Juifs". De même, Manès Sperber  décrit la psychanalyse comme, la mise en psychologie de l'Ancien Testament" ; Marthe Robert, dans un essai pénétrant, voit dans son œuvre "en quelque sorte le dernier en date des commentaires du Talmud". Quant à Percival Bailey, il voit en Freud un "rabbin laïc".

Un autre spécialiste, le professeur Baruk, pourtant hostile au freudisme, arrive à une conclusion identique, estimant que la psychanalyse est "plutôt une religion qu'une science. Elle a ses dogmes, elle a ses rites, et surtout son interprétation presque mystique, en tout cas, fort peu contrôlée. Le propre de la Science, c'est que l'hypothèse doit ensuite être passée au feu de la vérification. Alors seulement, elle se transforme en fait scientifique. Dans la psychanalyse, l'hypothèse, c'est-à-dire l'interprétation fournie par son auteur, le médecin, doit être contrôlée par le résultat thérapeutique. Or, sur ce point, les résultats sont bien maigres. On ne connaît que très peu de cas d'obsessions guéris par la psychanalyse, malgré l'intense propagande de ses disciples".

La clé des songes, rêve des magiciens

Comme l'écrit le préfacier de Bakan, le Dr F. Pasche, « pour Freud, le surmoi avait un visage, celui de Moïse, et un langage, les interdits et les injonctions du Décalogue. N'est-ce pas le dogme kabbalistique d'une énergie divine, créatrice, sexualisée qui est à l'origine du concept de libido ? N'en est-il pas de même des notions freudiennes d'instinct de mort, sécularisation de l'esprit du Mal - de bisexualité - le Dieu de la Kabbale est bisexuel - de l'inceste comme crime mythique, de l'assimilation de la connaissance à l'inceste, etc. »

Mystique juive, Kabbale, numérologie : des termes peu courants pour aborder de nos jours la psychanalyse, mais qui étaient des banalités dans les années vingt et trente. Qu'est la Kabbale en effet, sinon l'étude symbolique des chiffres et des lettres ? Qu'est-ce que la psychanalyse, sinon une explication symbolique des chiffres et des. lettres, l'interprétation des rêves, la "Traumdeutung" (la fameuse "Clé des songes", rêve des magiciens kabbalistes) ? Cette analogie ne devait pas échapper au B'nai B'rith, qui prit très tôt la défense de Freud et popularisa ses théories, alors même que son appartenance au B'nai" B'rith était encore méconnue.

Le spécialiste attitré pour le B'naï B'rith international en fut A. A. Roback, qui consacra à la psychanalyse toute une série d'articles. Les titres sont particulièrement révélateurs : "La Psychologie freudienne et les commentateurs juifs de la Bible", "La Psychologie des proverbes yiddish", "Est-ce que les Juifs ont un complexe d'infériorité ?", "Freud, Chassid ou Humaniste ?", "La Psychanalyse est-elle un mouvement juif ?"

"Son article Chassid ou Humaniste ?" est du plus haut intérêt. Rappelons que le chassidisme ou hassidisme vient de l'hébreu Hasidim, hommes pieux. Il désignait originellement le courant des juifs conservateurs de Palestine qui s'opposèrent à l'influence hellénistique dans la loi juive. Ils étaient les précurseurs directs des Pharisiens. "Le hassidisme moderne, note Michel Mourre, naquit en Pologne au début du XVIIIème siècle sous l'impulsion de Israël Baal Shem Tov (1700-1760). Mouvement essentiellement mystique, il opposait au rationalisme talmudique le primat de la vie intérieure et l'aspiration à l'union d'amour avec le Dieu sauveur. Considéré comme hérétique par les talmudistes, le hassidisme a cependant profondément renouvelé la vie religieuse des communautés juives de Pologne et de Russie. Le grand représentant de ce mouvement à l'époque contemporaine fut le philosophe israélien Martin Buber."

Le Frère Roback constate qu'il "n'est pas absolument certain que Freud a été élevé dans une atmosphère chassidique ou que la connaissance intime du chassidisme prévalait tellement dans le milieu juif autrichien qu'elle permit l'émergence de son système psychologique. Ce qu'on peut dire de manière certaine, c'est que Freud peut être regardé comme un chassid dans l'histoire de la psychologie moderne (...) Non seulement parce qu'il se relie au chassidisme par ses intérêts humanistes (...) mais aussi par le halo mystique qui entoure sa doctrine (...) A de nombreux égards, la méthode freudienne, particulièrement dans sa phase culminante, est une forte réminiscence du symbolisme qui sous-tend toute la philosophie kabbalistique. L'importance donnée aux éléments féminins et mâles, le jonglage avec les nombres, l'exploitation de toutes sortes de symboles pour s'adapter aux cas particuliers et de nombreuses autres indications ont leur contrepartie dans la psychanalyse. (... Comme l'explique Freud lui-même, en substance,) il est impossible de penser à un nombre ou même à un mot de manière totalement libre. Si on arrive à examiner précisément le processus de formation volontaire, on peut toujours prouver qu'il a été très strictement déterminé." Roback esquisse alors, et de manière complexe pour les néophytes, les rapports entre les recherches freudiennes et les schèmes d'analyse des commentateurs bibliques, kabbalistes et mystiques : "Si on vous demande un nombre au hasard et que vous répondiez 37 826, Freud répondra qu'il y a un motif secret, une raison cachée à vous-même, qui vous a déterminé à donner ce nombre plutôt qu'un autre. (De même) le déterminisme paraît être la base théorique des commentaires sur la Bible selon des grilles symboliques ou mystiques. Cela m'a longtemps intrigué de savoir de quels méandres avait surgi la quadruple interprétation des Ecritures comme PaRDeS (Pshat, Remez, Drush, Sod) qui comprennent les significations littérales, symboliques, rhétoriques et mystiques (...) En d'autres termes, une certaine signification est attachée à la position relative des lettres dans un mot, ou d'un mot dans un verset. Ainsi les lettres finales des trois premiers mots de la Bible composent le mot Emeth (Vérité), suscite l'inférence que le monde a été créé à travers le prisme de la vérité (...) Le fait que la Bible commence par un Beth et non un Alpeh, la première lettre de l'alphabet, entraîne dans l'esprit fertile du rabbin Jacob Ben Asher (un grand cabaliste) de nouvelles révélations. Les milliers de milliers d'équations arithmétiques (gematria), des anagrammes, des acrostiches et des extensions supplémentaires (notarikon) que le rabbin et les autres membres de son école ont été capables de faire ressortir des Ecritures et de manipuler pour les faire convenir à leur buts exégétiques, révèlent qu'ils étaient des génies des problèmes de calcul. Freud et ses collaborateurs n'ont pas employé de système aussi élaboré que la mathématique symbolique des cabalistes, qui ont développé un grand nombre de codes qui n'offrent aucune garantie autre qu'en matière d'analogie (...) En fait, Freud n'a pas adhéré à un système fixé de règles pour les analogies de nombres, mais les possibilités de manipulation dépassent, surpassent tout ce que les commentateurs juifs mystiques avaient offert jusque-là (...) On doit admettre que lorsqu'on compare les manipulations de nombres faites par les commentateurs juifs avec les conjectures extravagantes des chercheurs de la Zentralblatt für Psychoanalyse, fondée par Freud, les premières apparaissent comme du bon sens."

Dans un autre texte, Roback note que la faculté d'interpréter les symboles est "une caractéristique, une constante, de l'esprit juif ". "Les Prophètes, ajoute-t-il, ont usé d'un symbolisme dramatique dans leurs exhortations extatiques, et le Talmud est rempli d'interprétations des Ecritures, tandis que la Cabbale est une interprétation des symboles mystiques. Les succès de Freud, cependant, ne sont pas dus seulement à cette qualité (...) Bien que la psychanalyse contienne, globalement, une tendance mystique, il est possible de distinguer deux types dans cette tendance, L'une incline au réalisme et au concret ; l'autre est peinte aux couleurs de l'abstraction et tend vers l'indicible et l'invisible."