dimanche, août 20, 2006

Frère Félix : La première question que se posent vos lecteurs concerne ce basculement extraordinaire du statut de professeur d'une grande école à celui de modeste moine bouddhiste. Quelles sont les motivations ?
Marc Bosche : J’avais bien exploré le domaine des possibles dans la grande école où j’enseignais, je m’y plaisais beaucoup appréciant l’atmosphère presque communautaire de " club " lié à l’exigence de la sélection à l’entrée et au niveau élevé de chacun en matière de culture générale. Nous connaissions beaucoup de nos élèves par leurs noms (dans une grande école on dit élève plutôt qu’étudiant !) et avec certains avions des relations de confiance qui nous permettaient de communiquer sur des sujets divers touchants aux sciences humaines y compris autour d’un repas au restaurant universitaire. J’avais introduit les premiers cours sur l’interculturalité dans le cursus du département sciences humaines de cette école, et avais des étudiants de diverses nationalités en particulier asiatiques. Disons que la grande école a été une très bonne préparation pour le monastère. Quant aux professeurs j’avais la chance d’appartenir à une institution où les enseignants s’étaient dotés de procédures démocratiques pour s’évaluer, se promouvoir, se doter de statut leur permettant d’avoir une vraie activité de recherche. C’était aussi une sorte de communauté, avec un niveau élevé de formation, puisque la plupart de mes collègues avaient obtenu leur doctorat dans les meilleures universités américaines comme Yale, Stanford, Harvard, Purdue, Northwestern, etc.
Cette atmosphère choisie et exigeante tant au niveau de mes collègues que de nos élèves était donc un avant goût de l’expérience fraternelle, communautaire et démocratique que j’attendais, que j’espérais du monastère.
Le déclencheur a été la rencontre avec ce vieux moine tibétain, déjà âgé de 77 ans. Au cours d’un enseignement public il a demandé des bonnes volontés pour finir de mettre en route son nouveau monastère. J’ai perçu que c’était maintenant ou jamais, que dans dix ans le vieux sage khampa ne serait plus, et qu’il fallait me décider dans l’année si je voulais avoir une chance d’approcher le célèbre rinpoché et d’apprendre auprès de lui, un des tout derniers yogis vivant en Europe issu de l’ancienne école érémitique, c’est à dire ayant connu le Tibet d’avant la présence chinoise.
J’ai donc proposé ma démission au Doyen des professeurs de mon école, lui présentant mon projet de
vie monastique et une lettre de démission en bonne et due forme. A ma grande surprise le Doyen a refusé ma démission. Il m’a demandé de partir plutôt en congé sans solde et de revenir du monastère après un an vers le professorat si je changeais d’avis.
J’aimerai à mon tour savoir ce qui vous a amené à quitter le champ de l’action sociale que vous décrivez dans votre blog comme votre métier d’origine pour devenir moine. Je pressens que ces deux vocations sont intimement liées chez vous, mais ce sera à vous de nous dire si tel est le cas…
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F. Félix : Votre pressentiment est fondé. Les moines qui le désirent peuvent participer à des projets de solidarité.
J’avais rencontré dans le BIHAR, un des états les plus pauvres d’Inde, un vieux moine engagé dans le bouddhisme social. Il rêvait de scolariser les enfants pauvres, mais sans argent son projet avait peu de chance d’aboutir. Toutefois, il disposait d’un petit lopin de terre. Le Vénérable Bikkhou, eut l’idée de planter des fleurs, beaucoup de fleurs. Quelques mois plus tard, il donnait ses premiers cours d’alphabétisation à un petit groupe d’enfants émerveillés de se trouver au milieu d’un palais floral. L’initiative fut appréciée par des donateurs, avec leur argent le moine finança un bâtiment parfaitement intégré à l’environnement. Aujourd’hui, cette petite école, proche de Bodhgaya, est probablement l’école la plus fleurie du monde.
Le moine thaïlandais BOUDDHASA BHIKKHOU était engagé dans le bouddhisme social. A Taiwan, une nonne est très active. Au Sri Lanka, Japon, Corée, etc., les communautés monastiques ne sont pas indifférentes aux problèmes sociaux.
Un peu partout, les moines occidentaux sont sollicités pour donner des cours d’anglais.
Le bouddhisme social permet de concilier la spiritualité et l’action altruiste, je n’ai donc pas renoncé à mon engagement social antérieur. Je me suis simplement dégagé d’un certain nombre de contraintes liées à l’ambition, au paraître, au superflu…
Je comprends votre sympathie à l’égard de lama GUENDUNE et votre désir de l’aider à fonder son nouveau monastère, mais votre ordination répondait certainement à une quête spirituelle. Vous êtes très discret sur cet aspect, il n’est pas vraiment développé dans vos textes, si j’ai bonne mémoire.
Vous dites que vous étiez préparé à la vie communautaire d’un monastère d’obédience VAJRAYANA. Le bouddhisme tibétain perpétue des pratiques rituelles d’un autre âge, comme le CHOD, la " découpe " imaginée de son propre corps pour l’offrir aux esprits. Comment vous êtes-vous harmonisé avec tout cela ? Lama GUENDUNE vous a-t-il parlé de son expérience érémitique ?
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Marc B. : Oui, il m’a fallu commencer à pratiquer Chöd (Tcheu), nous avions des séances avec d’autres nouveaux au monastère le soir en dehors de nos heures de travail bénévole. La musicalité du rite qu’avait transmis à une disciple de notre monastère le Lama Teunzang de Montchardon est très proche des goûts mélodiques occidentaux, une mélodie agréable à entonner, captivante. La pratique de lama Guendune était une psalmodie plus austère et dénuée de musique au sens où nous l’entendons en Occident. Nous pratiquions donc selon le joli chant rituel transmis par lama Teunzang et sous la houlette de lama Guendune. Oui, j’ai donc eu à imaginer que je faisais l’offrande de mon corps coupé en petits morceaux ou cuisant même en soupe à divers fantômes affamés !! Cela devrait vous faire sourire. Mais la vérité est que je n’étais pas très doué pour le maniement simultané de la cloche, du grand tambourin rythmique et du fémur humain évidé. Il s’agissait de chanter le rituel en même temps, mais aussi de se visualiser dans ces offrandes de son corps, comme une nourriture pour des entités invisibles. Un soir au temple tandis que je m’évertuais à sonner clochette et à agiter tambourin en reprenant à gorge déployée la belle mélodie captivante de Chöd, le vieux lama est entré dans la salle du temple où nous répétions. J’étais à la place près de la porte, le vieux moine est resté là, souriant aux uns et aux autres, adressant en particulier un sourire encourageant à la disciple qui officiait comme maître du rituel. Mais j’ai senti qu’il me regardait aussi intensément, et profondément en train de m’agiter un peu à contretemps, de m’évertuer à chanter comme je pouvais, et de visualiser sans vraiment parvenir à visualiser. Je ne sais si c’est à cause de ce long regard qu’il m’a adressé, mais je n’ai plus recommencé. J’ai, d’ailleurs très tôt, laissé tombé l’apprentissage de Chöd ainsi du jour au lendemain au monastère. J’ai rendu sans regret l’os de fémur humain évidé qu’on m’avait préparé. Il s’agissait pendant le rituel de souffler dans cet os en modulant un son plaintif supposé attirer les esprits, fantômes et autres démons mangeurs de chair fraîche ! L’horreur absolue. A chaque fois que j’ai eu cet os en main, et surtout à portée de bouche, une atroce nausée me saisissait. L’idée que ce fémur humain devait me servir de flûte déclenchait les premiers spasmes du vomissement. Ce qui m’était particulièrement insupportable est que je pouvais sentir que l’os était encore gras au toucher, mais pas gras d’une huile ou d’un onguent, gras comme un membre humain tranché sur un cadavre. Il avait encore cette sorte d’odeur fade et écoeurante que je n’avais jamais sentie auparavant et qui évoquait sa vie humaine interrompue. C’était pour de vrai. Je me répète mais je n’ai pas pu m’y faire. J’avais donc rapidement donné cet os à un vieux moine français du monastère, et conclu là mon tour de piste des charniers visualisés du tantrisme de Chöd. J’avais en revanche des camarades tous plus jeunes qui pour certains excellaient vraiment dans cette pratique rituelle et l’avaient très vite apprise, avec une grande facilité apparente.
Je l’ai fait aussi pour une autre raison. On avait vendu aux bénévoles pour quelques dizaines de francs quelques fémurs humains fraîchement sciés, nous disant qu’ils avaient été achetés dans un hôpital, et comme si cela allait de soi. J’en ai été choqué. Cette banalisation m’avait fait dressé les cheveux sur la tête, mais avait aussi éveillé rapidement des questions nouvelles en moi. Je n’avais pas pu obtenir de précision sur la manière dont ces ossements avaient été ainsi obtenus. J’étais très ennuyé de cette absence de transparence, ne sachant pas comment ces os étaient arrivés ici au monastère. Je me suis demandé même légitimement s’il pouvait s’agir éventuellement d’un petit trafic mené dans le cadre des expériences d’anatomie d’une université de médecine. Car pourquoi des ossements humains arrivaient-ils ici ainsi, de quel droit ? Je pensais que si des personnes avaient fait don de leur corps à la science avant de décéder, elles n’avaient peut-être pas en tête que leurs fémurs deviennent des flûtes dans une secte tantrique pour appeler démons et fantômes à la régalade. Ecoeuré à l’idée même d’envisager tout cela, révolté par ces détails sordides que je ne pouvais qu’imaginer, las de ne pas avoir de réponse à mes questions, j’avais préféré ne pas garder cet objet en ma possession et je l’ai rapidement rendu à la personne qui l’avait évidé de sa moelle, pour ne pas me sentir en situation de recel d’un objet dont la provenance n’était pas claire. Je ne voulais pas participer à ce type d’activités manquant de transparence, activités encouragées par la sujétion au groupe, voilà tout. Cette histoire que je viens de vous raconter m’a pris mon innocence de moine novice. Après cela, je n’ai plus regardé l’institution, qui m’accueillait le temps de cette immersion, de la même manière. Quelque chose avait changé dans ma manière de regarder se mouvoir ce groupe fébrile, qui ne semblait pas se poser beaucoup de questions, et cela a je crois hâté ma résolution de ne pas m’y attarder. Mais c’est aussi là que j’ai laissé mon enthousiasme et ma confiance dans ce projet. J’ai commencé à perdre mon insouciance de moine novice à ce point, et cela s’est avéré progressivement irréversible. Je suis tombé sur un os, pour de vrai.
Après avoir répondu à votre question sur Chöd, quelques mots sur votre récit. Votre présentation de l’expérience qui est la vôtre m’a réservé ses bonnes surprises. Vous voyez bien toute la différence : pendant que vous regardiez pousser des enfants et des fleurs et que ce bon moine rendait la vie des jeunes défavorisés plus belle et plus heureuse, j’étais moi en train d’avoir des hauts le cœur en soufflant dans un fémur humain évidé tout en visualisant entre deux accès de nausée un charnier où des fantômes étaient supposés me dévorer découpé en dés, comme du bacon dans une grand soupe.
C’est à ce point précis que nous pouvons percevoir l’irréductible éloignement des deux types de pratiques. Et c’est à ce point que pour moi la voie tantrique, inspirée du Bönpo de Chöd n’est pas une voie praticable. Ce n’est pas, je parle pour moi, une voie praticable car il y a un divorce évident avec le bon sens et la santé fondamentale. L’imaginaire morbide du Chöd doit être très difficile à harnacher sur le long terme. Seuls des êtres ayant grandi dans cette culture (dans la région autonome du Tibet) et disposant de solides repères moraux pouvaient à mon sens le faire sans dévier, c’est-à-dire sans se prendre petit à petit au jeu psychopathe.
Quant à la rencontre de lama Guendune elle était le plus souvent silencieuse, nous ne parlions pas la même langue, il ne parlait pas anglais ni français et je ne parlais pas le dialecte du Kham dans lequel il s’exprimait. Les entretiens avec traducteur étaient souvent décevants en terme de contenu verbalisé, le moine se limitant à quelques phrases, voire à quelques mots que je passais de longs moments à tenter de me remémorer et d’interpréter. Mais à défaut d’un échange verbalisé tout se passait au quotidien par les attentions infimes de la vie, les gestes, et ce qui ne se voyait pas, mais pouvait parfois être ressenti. J’avais la chance de pouvoir côtoyer le vieux lama chaque jour ou presque, souvent dans les circonstances ordinaires qui prenaient alors un relief inattendu et bienvenu. Si vous le souhaitez j’y reviendrai à votre convenance. Pour dire un mot de la vie érémitique de lama Guendune, il avait lui-même vécu à un moment de sa vie comme un Chöd-Pa (tcheupa) errant au Tibet, n’acceptant pas l’hospitalité plus de quelques instants dans les maisons, vivant ainsi de mendicité et dormant à la belle étoile, dans le froid, ou dans la chaleur, dans le vent et la très grande misère qui fut sa compagne à cette époque de sa vie.
Mais revenons à vous et à ce moine qui s’investissait dans l’action sociale et qui a su vous rencontrer, vous qui aviez déjà l’expérience de ce type d’activité. J’ai été très impressionné par votre narration, même succincte de ce projet autour des fleurs, de l’accompagnement des enfants autour d’un projet d’horticulture et de ce village fleuri. Tout cela porte des images qui peuvent réconcilier en effet avec le bouddhisme lorsqu’il est aussi et surtout tourné vers le bien être des autres, le soutien des plus démunis, et une confiance indéfectible en la beauté de la Terre et la dignité des humains et du monde vivant. Je suis ébloui par ce récit que vous en faîtes.
Est-ce que le moine aux fleurs que vous évoquez est l’un de ces beaux visages qu’on voit à vos côtés sur plusieurs photos de vos blogs ? Pouvez-vous nous en parler un peu plus ?
Pourriez-vous aussi nous parler de votre projet de vie monastique en Inde et des conditions dans lesquelles vous l’avez vécu ?
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F. Félix : C’est vrai, l’école fleurie de BODHGAYA mérite un développement plus complet dans ce blog,
Les grandes Organisations Non Gouvernementales internationales prétendent détenir le monopole de la solidarité et savent attirer l’attention de la presse au détriment des petits projets imaginés par les habitants des pays pauvres. Les initiatives locales simples et efficaces ne sont pas rares. Des observateurs doutent parfois de la sincérité de certaines ONG, mais ce point risquerait de nous éloigner de notre débat autour du bouddhisme.
J’ai peu d’éléments à communiquer sur ce vénérable bikkhou de la tradition des " Anciens ". Il était très humble et parlait peu de lui. Je regrette ne pas l’avoir photographié, son physique reflétait sa noblesse et sa compassion. Cette école n’est pas très loin du monastère vietnamien de Bodhgaya. Durant ma visite, les moines vietnamiens distribuaient des fournitures scolaires aux enfants.
Mon expérience du monachisme tibétain en Inde n’a pas été très positive.
J’ai été ordonné au monastère tibétain de MENRI. La tradition de MENRI est traitée par Christelle MOEBS dans ce blog . Ce monastère est situé dans la région himalayenne de l’Inde, dans l’état de l’Himachal Pradesh. Le lieu est d’une grande beauté. La communauté tibétaine de DOLANJI, qui a construit le monastère, est relativement isolée. Seul un vieux car poussif permet de relier la ville de SOLAN, située à une heure de route. Le monastère échappe ainsi au vacarme indien encouragé par la seule règle respectée des automobilistes : " HORNE PLEASE ! "
Menri est une sorte d’université monastique qui forme d’excellents docteurs en sciences traditionnelles, les fameux guéshés experts des joutes oratoires bruyantes, leurs arguties sont ponctuées par de foudroyants claquements de mains.
Depuis quelques années, de plus en plus de jeunes moines rêvent de se rendre en Occident sur les traces des vedettes du bouddhisme tibétain, les coqueluches des centres du dharma.
Au début, des années 2000, le monastère était en travaux. Les petits orphelins n’étaient pas épargnés par les corvées. J’étais au monastère durant l’hiver 2001-2002, le spectacle d’enfants en haillons, parfois nu-pieds, obligés de gravir les pentes d’une colline le dos chargé de briques, était insupportable. Les plus jeunes (environ quatre ou cinq ans) pleuraient sans cesser de travailler. Un moine impassible surveillait les enfants. L’orphelinat fonctionnait selon des normes d’un autre âge. Les jeunes moines étudiants ne se souciaient que de leur réussite, les familles payaient leurs études et exigeaient des résultats. L’ambiance était délétère, Je décidai de m’écarter.
Je recherchais une maison à louer dans la vallée. L’abbé était d’accord. Cependant, l’éloignement du marché du Solan me posait des problèmes. Je ne pouvais pas communiquer avec les fermiers locaux pour acheter à un prix raisonnable mes aliments. Au monastère, j’avais sympathisé avec un jeune aide cuisinier, âgé de douze ou treize ans. Il s’exprimait en anglais. J’aimais son humeur toujours joyeuse. L’adolescent était débrouillard et intelligent. Il pouvait m’aider à m’installer dans la vallée contre une honnête rémunération.
Lors d’une promenade matinale autour du monastère, chapelet en main, un attroupement de curieux se dissipa à mon arrivée. On lisait sur les visages le malaise de ceux qui ont assisté à un spectacle honteux. Les personnes s’écartaient et je reconnu le jeune aide cuisinier en fâcheuse posture. Un moine colossal le soulevait de terre d’une main et de l’autre le frappait avec un gourdin. Avant que je parvins à formuler ma question sur les raisons d’une telle violence, le colosse disparut avec sa proie.
Un moinillon et le jeune aide cuisinier étaient accusés de vol. Le moine à la carrure de yéti était le toulkou responsable de l’orphelinat.
Un travailleur indien me révéla l’endroit où étaient interrogés les enfants. Malheureusement, des moines s’opposèrent fermement à mon entrée dans le bâtiment. Ils étaient déterminés à me faire rebrousser chemin par la force. Puis, les prisonniers disparurent de ce lieu.
Durant, plusieurs jours, je harcelais Frédéric, le moine français, qui est maintenant le secrétaire de l’abbé de MENRI, pour tenter de voir les accusés. Frédéric n’arrivait pas à découvrir l’endroit de leur détention. " Et, de toute façon, serait-il possible de les rencontrer ? " s’interrogeait le moine, mon aîné de deux années dans la profession monastique.
Je quittai pour toujours la triste université. Le moine français ne m’a jamais communiqué la moindre information sur le sort des enfants. Ce silence est lourd, très lourd. Il pèse dans ma décision de dénoncer le cléricalisme féodal tibétain.
Votre travail d’information sur le bouddhisme pourra-t-il provoquer un revirement des mentalités ? Percevez-vous une volonté d’affranchissement des hiérarchies, des croyances et du mercantilisme qui discréditent le bouddhisme occidental ?
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Marc B. : J’ai lu avec émotion votre narration de la brutalité avec laquelle ont été traités ces deux enfants au sein même de la communauté indienne dans laquelle vous vous étiez établi. Vous avez quitté ce monastère après avoir en vain essayé de retrouver ces jeunes, de savoir s’ils étaient sains et saufs, et c’est la seule chose que j’aurais également trouvé à faire. Les récits de brutalité au sein des monastères de tradition himalayenne sont arrivés jusqu’en Occident désormais et dans la page en anglais du site bouddhismes.info on trouve quelques extraits d’auteurs qui y font directement et explicitement référence. Des précepteurs chargés de la discipline circulaient armés d’un gros gourdin. Il était fréquent qu’une geôle existât pour les malheureux. J’ai lu même que certains de ces gros bras monastiques chargés de la discipline et du gourdin dans ces mondes sans femme avaient la réputation de trouver leurs partenaires sexuels dans les rangs des jeunes garçons et adolescents du monastère qui devenaient discrètement les victimes de leur abus d’autorité. La page de citations anglaise de
http://pagesperso-orange.fr/marc-bosche/wsb3911575201/19.html cite des extraits explicites comme celui-ci.
Anh Do & Teri Sforza
http://www.urbandharma.org/bmonk/boymonk3.html :
" Punishment for rule-breakers was severe. Each monastery had a disciplinarian called an "iron club" lama, who was responsible for maintaining order. Monks who appeared to nod off during prayers or classes were beaten with wooden prayer beads or switches for what was said to be their own good. It didn't matter if the offending monks were young or old; if they broke the rules, they met the same fate. Kusho cringed as a monk he knew was beaten in front of him for mischievousness; the sights and sounds of it haunted him. He felt terrible for the boy every time he saw him.It was so hard to make friends. He worked hard to fit in and avoid the whip. "
More on this topic
http://www.urbandharma.org/bmonk/boymonk3.html

En déroulant la page
bouddhismes.info/19.html (vers le bas de page) vous trouverez d’autres citations qui évoquent aussi les abus sexuels sur enfants. Vous aurez aussi sous les yeux des photos de moines armés de gourdins. Voici un extrait d’un autre auteur dont voici d’abord la carte de visite :
Richard S. Ehrlich is from San Francisco, California, and first journeyed to Asia in 1972. Reporting news from across Asia since 1978, his bases have included Hong Kong, New Delhi, and now Bangkok. His coverage has focused on the guerrilla wars in Afghanistan, Kashmir, Punjab, Sri Lanka and Cambodia, as well as the region’s cultures and other events. He received his Master’s degree from Columbia University’s Graduate School of Journalism, and won their 1978 Foreign Correspondents Award.
" A Tibetan told me: "He stopped being a monk after five years because his monastery's senior lama beat novices with a stick during scripture examinations. Tibetan Buddhist monasteries often mete out such child abuse. During the Dalai Lama's time, before he fled Tibet in 1959, head lamas in his Potala Palace beat errant monks for gambling or other naughty behavior."
If you delve into Tibetan affairs a bit deeper you'll discover Tibetan monks beating their students in monasteries in and out of Tibet is nothing new. "
Richard S. Ehrlich also wrote
http://www.escapeartist.com/efam/40/Tibet.html
Encore un autre auteur nous en parle :
Michael Parentis The Tibet Myth
http://www.swans.com/library/art9/mparen01.html/t_blank
"Young Tibetan boys were regularly taken from their families and brought into the monasteries to be trained as monks. Once there, they became bonded for life. Tashì-Tsering, a monk, reports that it was common practice for peasant children to be sexually mistreated in the monasteries. He himself was a victim of repeated childhood rape not long after he was taken into the monastery at age nine.
[…] The monastic estates also conscripted peasant children for lifelong servitude as domestics, dance performers, and soldiers."
L’histoire évoquée ci-dessus de Tashi Tsering est particulièrement révélatrice à cet égard puisque c’est lui qui a raconté comment il avait été violé fréquemment au sein de son monastère où il était arrivé à l’âge de neuf ans.
Voici les coordonnées de son livres paru aux Etats-Unis : Melvyn Goldstein, William Siebenschuh, and Tashì-Tsering, " The Struggle for Modern Tibet: The Autobiography of Tashì-Tsering " Armonk, N.Y.: M.E. Sharpe, 1997.

Je n’ai pas pu vérifier ces sources et les cite telles quelles, mais leur variété suggère qu’il y a bien (eu) un vrai problème avec la brutalité dans certains monastères lamaïstes des Himalayas.
Je crois qu’il devrait y avoir un code éthique : les donateurs occidentaux en particulier associatifs ne devraient donner que si un monastère passe le test de la non violence. Il pourrait y avoir des visites anonymes, et il ne serait pas si difficile de se faire une idée sur la qualité des soins qui sont donnés aux enfants. Regardez comme on a reproché récemment à Apple de faire produire son iPod par des salariés exploités plus de soixante heures en Chine. Aussitôt, craignant la mauvaise publicité Apple a dépêché une mission et a vérifié et resserré les conditions de sa charte éthique avec l’entreprise productrice. Pourtant ces entreprises multinationales ne sont pas forcément des missions humanitaires, mais lorsque les circonstances l’exigent elles font quand même correctement leur travail, balayent devant leur porte, remettent les choses en ordre efficacement, et posent des conditions éthiques qui sont alors méticuleusement vérifiées sur le terrain. Pourquoi ce que font correctement les hommes d’affaires mus par l’intérêt financier ne pourrait pas être accompli aussi au minimum par des personnes se targuant de hautes valeurs spirituelles de sagesse et de compassion, n’est-on pas en droit de l’exiger ?

Maintenant je réponds à la question que vous me posez à savoir : (F. Félix : " Votre travail d’information sur le bouddhisme pourra-t-il provoquer un revirement des mentalités ? Percevez-vous une volonté d’affranchissement des hiérarchies, des croyances et du mercantilisme qui discréditent le bouddhisme occidental. "
Non, clairement le travail d’une seule personne ne peut suffire, et je ne suis pas celui qui est aussi le mieux placé pour cela, car je ne suis pas du tout situé dans une confrontation idéologique ou culturelle. Mes centres d’intérêt me portent davantage vers l’écriture en matière de communication et d’anthropologie interculturelles.
Mais chacun peut se situer dans son domaine de spécialité et d’expérience, c’est le principe du réseau collaboratif et bénévole d’information : il s’agit de mettre en relation les témoignages, d’assembler les pièces du puzzle. Et le nouvel Internet collaboratif (le Web 2.0) est l’outil parfait pour cela.
Tout est parti des Etats-Unis, puis d’Allemagne, avant de concerner la Belgique et la Suisse. Le monde francophone a ainsi été touché par une information plus accessible et disponible, même s’il faut parfois aller la chercher au départ dans d’autres langues que la sienne, en particulier en anglais. Aujourd’hui c’est le tour de la France d’être bientôt un espace francophone du débat et de l’information. Et ce mouvement va continuer.
Alors à l’avenir chacun fera comme il voudra, mais cette fois en meilleure connaissance de cause. Libre à un internaute d’aller dans une de ces communautés controversées ou de suivre les cours d’un " maître " qui aura eu des ennuis avec ses meilleurs disciples, voire avec la justice. Mais la plupart des candidats iront d’abord faire un tour sur Google, et se livreront à quelques recherches préalables. Les forums l’aideront à affiner ses questions. Les blogs d’opinion comme le vôtre lui donneront des éléments de référentiel.
Il suffit parfois désormais de taper " XXX sexual abuse " en mettant le nom du lama devant à la place des XXX, pour découvrir le pot aux roses en quelques clics de souris. Certains m’ont dit avoir essayé avec le nom bien connu d’un lama qui commence par S. et ils ont eu de suite trois pages de liens en anglais sur le moteur de recherche
http://google.com/ . Après, sur le fond c’est à chacun de poursuivre l’investigation, de vérifier soigneusement les sources de s’assurer quels sont les faits et comment les interpréter.
C’est vrai, la naïveté humaine est immense, le besoin d’éducation, à la mesure. Un responsable de la MIVILUDES s’exprimait à ce sujet dans un article de France Soir : " Lutter contre la naïveté, c’est au dessus de nos moyens." Et la naïveté est aujourd'hui la chose au monde la mieux partagée. " Les gens ont peur de la mort, de la maladie… Ils n’acceptent pas ce que nos anciens acceptaient : une vie ordinaire. " In France Soir du 17 juin 2006.
Les organisations qui ont fait du désir spirituel un fond de commerce parfois lucratif au mépris de l’éthique ont un marché global et en croissance. Et cela va continuer. C’est une industrie virtuelle qui ne coûte presque rien aux promoteurs en terme d’investissement (du toupet, un peu de décorum, de belles paroles, un trône en contreplaqué laqué glycéro, un titre incertain et autoproclamé de réincarnation) et cette mise en scène dérisoire peut attirer legs, donations et tickets d’entrée. Alors en route pour les initiations publiques de par le monde et la grande vie pour la petite équipe qui moissonne alors rapidement les pays à fort pouvoir d’achat en Asie, en Europe, en Amérique, en Océanie, selon la stratégie de la terre brûlée. Ils ne récoltent en général que sur quelques années, auparavant c’était au mieux sur deux décennies, car après l’information finit par les rattraper, la réputation et leurs " hauts faits " reviennent par Internet comme un désagréable écho. Ces dynamiques entrepreneurs spirituels sont donc toujours dans une fuite en avant : il faut vite ouvrir des centres, les faire croître, ratisser et partir vers d’autres horizons plus prospères, quand les premiers enthousisasmes sont déçus, et que les généreux donateurs et bénévoles sont fatigués d’avoir tant donné pour ne rien recevoir de valable. Et surtout quand Internet arrive au galop pour édifier chacun sur leur sainteté…
Mais même si c’est un " business model ", les organisations où les gourous montent au cocotier sans avoir la culotte propre ont du souci à se faire à l’avenir. L’information croisée, collaborative, accessible, gratuite du Web2.0 fait reculer l’efficacité des mises en scènes qui contredisent les pratiques sociales de ces organisations. Et cette prise de conscience est inexorable, irréversible, progressive. Les marchands de chanson spirituelle si pressés ont encore de beaux jours devant eux, mais pour le futur, leur cas est déjà réglé : l’histoire laissera dans son sillage leurs artefacts, comme des babioles kitsch que les enfants ne regarderont même pas. Car comme l’écrit bien mieux que moi le prix Nobel de littérature V.S. Naipaul (cité en 2002 par l’hebdomadaire Newsweek) au sujet de la quête humaine du bonheur : " l’idée de l’individu, de la responsabilité, du choix, de la vie intellectuelle, de la vocation, de la perfectibilité et de l’accomplissement : c’est une idée humaine immense. Elle ne peut pas être réduite à un système fixe. Elle ne peut pas générer du fanatisme. Mais on sait qu’elle existe et, à cause de cela même, les autres systèmes plus rigides éclatent finalement... "

Voici ma question pour vous : est-il possible pour nos concitoyens de vivre leur spiritualité gratuitement sans avoir à passer par ces officines commerciales ? Pourriez-vous esquisser quelques grandes lignes ou quelques menus exemples à votre entière convenance, car j’ai vu que vos blogs sur la vie érémitique, ses nourritures, son habitat contemporain, etc. s’étaient étoffés ces tout derniers jours.
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F. Félix. Votre question est très importante. Dans le cadre des traditions religieuses, les dérives mercantiles du néo bouddhisme sont étonnantes. Indiquent-elles l’émergence d’un autre bouddhisme, une sorte de spiritualisme utilitaire vendeur de bien-être ?
L’un des principes du consumérisme triomphant est le mépris de la gratuité. Les produits et les services offerts gratuitement n’ont aucune valeur dans notre société. Ce principe fait la fortune de certains psychanalystes mondains et des gourous. Le montant de la somme payée suffit parfois pour accréditer la valeur d’une technique spirituelle. Ce "prix psychologique" est-il plus important que la technique elle-même ?
La mouvance religieuse du début du 21ème siècle ressemble à un bazar de méthodes hétéroclites. De nouvelles professions sont apparues, des psychopraticiens initiés et des marchands de spiritualité. Leurs produits répondent à des besoins et des angoisses parfaitement identifiés par le marketing religieux. Les catalogues "d’éveil spirituel" proposent des stages et des initiations qui visent à renforcer la puissance physique et psychique pour échapper à la souffrance et vivre heureux.
Le marché de l’euphorie spirituelle est très éloigné des adeptes de la vie simple (ermites laïcs, moines indépendants, maquisards de la mondialisation…). Ces personnes "sans affaires", selon une expression du Ch’an, se contentent d’accepter un processus naturel de déconditionnement libérant en quelque sorte l’esprit originel. Les techniques spirituelles payantes ou gratuites, les mantras, les méditations, les postures, les textes religieux sont beaucoup moins importants qu’un mode de vie dénué d’ambition agressive, de rivalité, d’artifices… Quand l’intuition permet de ressentir l’essence existentielle, j’ai l’impression qu’un autre mode de vie survient spontanément. D’une manière concrète, les besoins ne sont plus les mêmes. Une nouvelle compréhension de l’activité professionnelle peut rendre le travail plus créatif et moins aliénant. Le productivisme et le consumérisme sont rejetés à cause de la destruction de l’environnement et aussi d’une forme d’esclavage salarial. Certains, beaucoup plus lucides que de nombreux religieux et prélats, préconisent dès à présent la "simplicité volontaire", c’était autrefois l’idéal franciscain. La charte de la simplicité volontaire est dans "DÉCROISSANCE", journal de la joie de vivre.
http://www.casseursdepub.net/journal/
Sur le marché du bien-être et de la spiritualité utilitaire, le bouddhisme tibétain sera-t-il obligé de renoncer à ses superstitions afin de mieux commercialiser ses méthodes psychothérapeutiques ?
Les lamas, animateurs de stages, devront-ils se soumettent à des exigences scientifiques et éthiques et s’inscrivent au registre national des psychothérapeutes ? Cette idée permettrait de responsabiliser le corps enseignant tibétain peu soucieux, jusqu’à présent, de déontologie. Le vajrayana risque d’échapper au contrôle des lamas, des thérapeutes occidentaux, membres d’ordres professionnels reconnus par les autorités publiques, utilisent des techniques curatives empruntées au bouddhisme tibétain : yoga du rêve, exercices respiratoires associés aux yantras (postures corporelles), système de manipulation de l’énergie psychophysiologique, etc.
Pascal BRUCKNER a écrit :
"Si l'on excepte un tout petit nombre d'érudits et de lettrés, ce n'est pas le bouddhisme qui triomphe en Occident, c'est une religion à la carte habillée d'exotisme. Ce n'est même pas une spiritualité, c'est une thérapie, un bouclier contre le stress qui promulgue un credo passe-partout acceptable par le plus grand nombre. Comment une doctrine du renoncement peut-elle séduire une société de l'implication mondaine ? En renonçant au renoncement, en le servant sous forme light digeste pour nos estomacs délicats, nos ego survoltés. On peut alors y piocher comme dans une boîte de chocolats, en prenant les meilleurs, en rejetant les autres. L'essentiel est que l'emballage reste tibétain, zen ou tantrique.
A travers cet engouement pour l'Orient, autre chose se joue peut-être : l'invention d'un syncrétisme inédit, la réconciliation magique des contraires, de la sérénité et de l'inquiétude, de l'attachement et de l'indifférence, du développement personnel et de l'illusion du moi par le biais d'une croyance minimale. Que sera ce néo-bouddhisme? Le complément spirituel d'une mondialisation sans esprit, la religion de la fin des religions? Peut-être. De cette folle étreinte entre l'Est et l'Ouest, contemporaine de l'ère des doctrines faciles, il adviendra quelque chose qui ne ressembler à lien de connu : surtout pas au bouddhisme authentique, encore trop rigide, trop discipliné, qui sera défiguré, piétiné, victime de son succès. Il en sortira un gigantesque contresens, l'éternelle forme de la nouveauté dans l'Histoire."
("L’euphorie perpétuelle" éditions Grasset.)
Que pensez-vous de ces lignes?
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Marc B. : La page de Brückner sur le bouddhisme extraite de l’essai " l’euphorie perpétuelle " est en effet bien choisie. En quelques paragraphes l’auteur décode en effet quelques enjeux qui étaient passés inaperçus des Occidentaux eux-mêmes. Il montre le contresens d’un bouddhisme survitaminé permettant de mieux surfer encore sur la vague d’une euphorie toujours renouvelée, d’une vie collective comme portée par le mythe d’une croissance irrépressible.
Mais je crois que si Brückner montre bien le contresens du bouddhisme – doctrine du détachement - associée paradoxalement au " toujours plus " occidental, il ne révèle pas deux dimensions essentielles de sa pratique sociale. Et la raison je crois pour laquelle l’auteur ne montre pas cette réalité est tout simplement qu’il ne la connaît peut-être pas. Ces deux dimensions sont les suivantes :
1) Certaines formes de bouddhisme peuvent être addictives. Loin de doper le citadin, de lui permettre de mieux résoudre ses contradictions, d’aller plus loin dans un style de vie toujours plus confortable, d’être un tigre dans son moteur, le tantrisme bouddhique peut tout simplement constituer une dépendance nouvelle. C'est-à-dire qu’au lieu de permettre de mieux vivre la vie mondaine le tantrisme bouddhique peut, discrètement, de manière furtive, s’imposer progressivement dans l’inconscient et le quotidien de son adepte et finir par les coloniser. C'est-à-dire que contrairement à ce que Brückner semble croire, le bouddhisme comme outil de développement personnel, de renforcement de la psyché, de vitamine de l’esprit, cela ne marche pas forcément. Si notre disciple devient dépendant (d’un gourou, d’une école tantrique, de rituels, de pratiques préliminaires, de séminaires divers, d’un discours formaté, d’une communauté de pairs, de diverses pressions pour faire des donations etc.) sa vie commence à être comme prise de l’intérieur par tous ces nouveaux devoirs, par toute cette dévotion. Bientôt le conjoint, les enfants, puis le travail s’en ressentent. Au final, il arrive que l’adhésion au tantrisme bouddhique prenne tout, et que le disciple se retrouve clos dans un centre de retraite collective, pour trois à sept ans, ayant coupé les ponts avec toute sa vie. Mais c’est son droit le plus strict, et loin de moi de l’en dissuader si cela lui chante.
2) La désillusion, le désenchantement et le désengagement peuvent succéder à l’euphorie, au plaisir de la nouveauté et à l’enthousiasme des débuts. C'est-à-dire que le bouddhisme tantrique par exemple peut être abandonné après une adhésion initiale. L’euphorie n’est pas perpétuelle. Elle a besoin d’objets nouveaux. Or le bouddhisme tantrique s’il fascine au début par sa multiplicité de choses nouvelles, miroitantes, translucides et colorées, reste fondamentalement un univers clos et limité. Il sert d’ailleurs à cela : il remplace l’univers vaste et complexe qui nous est donné, par son mandala de divinités, ses mantras et ses rites. Ses protecteurs sont là pour nous protéger de l’irruption inévitable du monde, du vrai. L’esprit s’en lasse. La maison tantra est petite. Le corps s’en fatigue. Les pratiques répétitives usent les ressources psychosomatiques naturelles disponibles dans le corps. Les sentiments du début s’émoussent. Et comme on était passé, par exemple de la passion New Age au bouddhisme tibétain, on passe à autre chose, une autre mode, un autre support pour notre insatiable curiosité. Il y a le choix : le développement personnel est en plein boom.
C’est bien pour cela que les disciples l’ont senti, et qu’autour de certaines communautés lamaïstes en perte de vitesse, beaucoup essayent de se recycler en vitesse dans la " psychothérapie ". Appauvris et marginalisés, n’ayant pas accumulé d’expérience significative dans leur vie professionnelle suite à leurs années intenses d’engagement dans le bouddhisme de tradition himalayenne, certains parmi les disciples tentent de devenir " psychothérapeutes ", quasiment autoproclamés, en appliquant les recettes du tantrisme bouddhique à la relation d’aide. Ils suivent quelques séminaires pompeusement appelés " pour psychothérapeutes " donnés par des lamas à la périphérie de communautés tantriques, lisent quelques livres, et lorsqu’on leur demande alors ce qu’ils deviennent ils répondent fièrement qu’ils sont " psychothérapeutes ". Pensons aux naïfs et aux candides qui donneront peut-être de leur argent et de leur confiance à ces " psychothérapeutes dharma " !
Fort opportunément, et à point nommé, la profession de psychothérapeute est en train d’être réglementée (comme le sont déjà celle de médecin et de psychologue par exemple). En France il faudra un diplôme universitaire reconnu en cinq ans de type master 2 de psychologie clinique pour pouvoir pratiquer. Sinon comme vous le soulignez il faudra au candidat psychothérapeute présenter un dossier de validation d ‘expérience et de titres devant une commission pour prétendre figurer dans le registre national des psychothérapeutes (accessible aussi sur Internet) qui permettra à chacun de vérifier si une offre de service est qualifiée ou non. Quelques exceptions sont prévues : les médecins (en particulier parce qu’ils sont amenés à prescrire parfois les médicaments psychotropes), seront inscrits de plein droit dans le registre, ils pourront pratiquer sans avoir à passer devant la commission.
Donc les " psychothérapeutes Dharma " de pacotille éventuels pourront être démasqués assez facilement : il suffira de leur demander leur titre universitaire ou de consulter ce registre national conçu pour pouvoir être interrogé région par région. Seuls les plus naïfs et les plus crédules des " patients " se feront piéger. Mais je pense que la réglementation du statut de psychothérapeute assainira considérablement les choses et devrait permettre de limiter la casse que pourraient faire des adeptes formés en quelques stages autour d’une lamaserie, et qui n’auraient pas les compétences requises pour exercer ce métier.

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